Introduction

Existe-t-il un bonheur qui ne meurt pas et qui met totalement fin à la souffrance et au stress ?

S’il existe, ce bonheur peut-il être réalisé grâce à l’effort humain ?

Et cela d’une manière inoffensive et irréprochable ?

C’est pour trouver la réponse à ces questions, qu’un jeune homme du Nord de l’Inde, il y a 2600 ans, quitta sa famille pour vivre dans la nature sauvage. Il réalisa finalement que la réponse à ces trois questions est « Oui » : Oui, il y a un bonheur qui met totalement fin à la souffrance. Oui, il peut être réalisé grâce à l’effort humain. Et oui, cet effort est inoffensif et irréprochable. En s’éveillant à ces faits, il devint le Bouddha : l’Éveillé. Dévouant le reste de sa vie à enseigner aux autres comment trouver ce bonheur pour eux-mêmes, il établit un système d’apprentissage et de pratiques qui s’est ramifié dans les nombreuses formes de bouddhisme que nous connaissons aujourd’hui.

La manière dont le jeune bodhisatta – bouddha en devenir – trouva la réponse à ces questions, a joué un rôle majeur dans la forme que prit la voie de pratique qu’il enseigna. Pour comprendre ses enseignements, il est donc bon de voir comment il les a lui-même découverts dans sa propre quête. Ce qui suit est un bref récit de sa vie, ponctué des leçons qu’il a par la suite tirées de sa propre expérience et enseignées aux autres.

Né dans une famille princière – la branche Sakyan du clan Gotama de la caste des nobles guerriers – le bodhisatta a été élevé dans le luxe. Son père lui construisit un palais pour chaque saison : la saison des pluies, la saison froide et la saison chaude. Dans ces palais, même les serviteurs recevaient les meilleures nourritures, pour ne rien dire du sort du bodhisatta.

Pourtant, au bout d’un moment, celui-ci réalisa que toutes les choses dans lesquelles il cherchait son bonheur étaient sujettes au vieillissement, à la maladie et à la mort. Alors même qu’il était jeune, en bonne santé et bien vivant, lui non plus ne pourrait éviter de devenir vieux, de tomber malade et de mourir. En contemplant ces faits, il perdit son intoxication vis à vis de sa jeunesse, de sa bonne santé et de sa vie. Il perçut le monde telle une flaque d’eau qui s’amenuise, grouillant de poissons se battant entre eux pour les dernières gorgées. Cela le remplit de saṁvega – consternation – face à la futilité de la vie telle qu’elle est communément vécue.

Il décida que le seul noble et honorable objectif dans la vie était donc de chercher quelque chose dénué de vieillesse, de maladie et de mort : le sans-mort. En d’autres termes, il cherchait un bonheur qui ne meurt pas, un bonheur qui ne requiert pas de batailler avec les autres, et qui ne nuit à personne. Il réalisa également que pour pouvoir trouver ce bonheur il devait se libérer des responsabilités de la vie de famille. Ainsi, comme le veut une tradition bien enracinée dans la culture indienne, il se rasa les cheveux et la barbe, se revêtit des robes marrons des religieux errants et mendiants (quelqu’un qui vit d’aumônes), et quitta sa famille pour vivre dans la nature sauvage.

Il approcha la voie vers le sans-mort comme une compétence devant être maîtrisée. Ses efforts pour trouver et maîtriser cette compétence lui prirent six années, faisant plusieurs fois fausse piste. Une des clés de son succès est qu’il fut capable de reconnaître ces fausses pistes en tant que telles, et de se remettre à chaque fois sur la bonne voie. Cela implique qu’il devait être capable de juger les résultats qu’il obtenait de ses actions. Ainsi, lorsqu’il s’apercevait que ceux-ci ne satisfaisaient pas à son but, il devait essayer d’imaginer une nouvelle façon de procéder – au lieu de se résigner à cette situation, ou de porter la faute à des facteurs externes. Chaque nouvelle approche était mise à l’épreuve de la même manière.

Une autre clé de son succès était de conserver toujours un haut niveau d’exigence : il ne se laissait pas décourager, et ne se satisfaisait d’aucun résultat, jusqu’à ce qu’il ait trouvé un bonheur vraiment sans-mort.

Après avoir étudié avec deux maîtres qui lui ont enseigné des états méditatifs avancés – l’absorption dans la dimension du néant et celle de ni perception ni non-perception – il réalisa que ces états, aussi raffinés soient-ils, n’étaient pas le sans-mort. Il partit alors chercher sa propre voie et suivi une pratique de mortifications extrêmes pendant six ans, se faisant littéralement mourir de faim dans l’espoir que la douleur intense purifie son esprit. Il pratiqua jusqu’au point où, s’il massait son estomac, il pouvait sentir sa colonne vertébrale; et à chaque fois qu’il allait se soulager, il s’évanouissait. Mais jamais il ne laissait son esprit être submergé par ses douleurs physiques et sa faiblesse. Il finit cependant par réaliser que cette voie, elle non plus, ne menait pas au noble but qu’il s’était fixé.

Il se souvint alors d’un moment dans son enfance où, assis seul sous un arbre, il s’était focalisé sur sa respiration et était entré dans un état de concentration absorbé et très plaisant, appelé jhāna. Il se demanda alors : « Se pourrait-il que ce soit la voie vers le sans-mort ? » Décidé à mettre cette nouvelle hypothèse à l’épreuve, il abandonna sa pratique de mortifications afin de regagner les forces nécessaires pour atteindre cette concentration. Il réalisa également qu’il allait devoir entraîner son esprit à bannir les pensées malhabiles – celles qui seraient un obstacle à la pratique des jhānas – et à ne permettre que les pensées propices à la stabilisation de l’esprit. Après avoir maîtrisé ces compétences, il réalisa qu’elles formaient le cœur de la voie qu’il cherchait.

Cette manière d’approcher et de trouver la voie vers le sans-mort lui enseigna beaucoup de leçons, non seulement à propos des compétences formant cette voie, mais aussi sur les qualités de caractère que ces compétences requièrent. Il apprit également beaucoup sur ce que l’esprit peut faire :

• Il peut s’entraîner à abandonner les qualités malhabiles – c’est à dire les souillures telles que l’avidité, l’aversion et les illusions; le désir pour les plaisirs des sens, la malveillance et le désir de nuire aux autres. A la place, il peut développer des qualités habiles, dénuées de ces souillures.

• Cet entraînement nécessite de regarder avec attention ses propres actions en pensée, en parole et en acte. Avant d’agir, demandez-vous : Quels résultats puis-je anticiper de cette action ? Si vous pensez qu’elle peut causer du tort, pour vous-même ou pour les autres, vous vous abstenez. Dans le cas contraire, vous pouvez faire cette action. Alors que vous agissez, vous regardez si, dans l’immédiat, cela cause un quelconque résultat néfaste. Si c’est le cas vous arrêtez, sinon vous pouvez continuer. Après avoir agi, vous observez les résultats que vous avez obtenus sur le long terme. S’il s’avère que cela à causé du tort malgré vos intentions, vous prenez la résolution de ne pas reproduire cette erreur. Si vous ne voyez aucun résultat indésirable, réjouissez-vous alors de vos progrès et prenez la détermination de continuer à vous entraîner.

• La principale source de motivation pour entreprendre cet entraînement est la vigilance : Vous réalisez que vos actions sont déterminantes dans les résultats que vous allez obtenir, et qu’il faut donc les surveiller attentivement. La vigilance doit être accompagnée d’une attitude qui ne se contente pas facilement de ces résultats. Si vous voyez qu’il y a des niveaux de bonheur plus élevés, alors, quels que soient les efforts requis, vous êtes déterminé à essayer d’atteindre les plus hauts niveaux de compétence possibles.

• Pour parvenir à maîtriser cette compétence deux autres qualités sont nécessaires : l’honnêteté à propos de vos actions et de leurs résultats, et une grande capacité d’observation. Si vous n’êtes pas honnête envers les autres au sujet de vos actions, il est peu probable que vous puissiez vraiment les observer vous-même. C’est pourquoi ces deux qualités forment un duo inséparable. Sans elles, vous n’avez aucun moyen fiable de tester ce que l’effort humain – votre effort – peut réellement accomplir.

La nuit de son éveil, le bodhisatta s’assit sous un arbre – connu par la suite sous le nom de l’Arbre de la Bodhi (éveil) – et se focalisa sur sa respiration. Il fut capable d’atteindre non seulement le niveau de jhāna qu’il avait atteint lorsqu’il était enfant, mais aussi trois autres niveaux d’absorption plus élevés. Dans le quatrième jhāna, sa respiration s’immobilisa naturellement, et son esprit devint rayonnant et équanime. Il se servit de ce niveau de concentration pour obtenir trois savoirs :

• Le savoir concernant ses propres vies passées;

• Le savoir concernant la manière dont les êtres meurent et renaissent en fonction de leur kamma, un mot qui signifie « action » (plus connu sous sa forme Sanskrite karma); et

• Le savoir sur le moyen de mettre un terme aux qualités mentales qu’il appela āsavas, ou fermentations. Cela désigne les tendances qui apparaissent dans l’esprit et qui conduisent à d’autres renaissances.

Quand ces fermentations mentales, qui lient l’esprit non seulement à la renaissance mais aussi à l’espace et au temps, disparurent de son esprit, le bodhisatta – maintenant le Bouddha – fit l’expérience du sans-mort, qu’il appela plus tard nibbāna (plus connu sous sa forme Sanskrite nirvāṇa) : le déliement. C’est cela son éveil.

Pendant sept semaines, il resta aux abords de l’arbre de la Bodhi, profitant de la félicité de la libération. Ce n’est qu’ensuite qu’il décida d’enseigner. Comme il le dit plus tard, ce qu’il apprit au cours de son cheminement jusqu’à l’éveil peut être comparé aux feuilles d’une forêt entière; ce qu’il enseigna, ne représente en fait qu’une poignée de feuilles. Il choisit en effet de n’enseigner aux autres que ce qui leur serait utile de pratiquer afin qu’ils trouvent eux-mêmes le sans-mort.

Cela impliquait donc de mettre de côté les questions qui n’étaient pas pertinentes pour atteindre le sans-mort, ou qui, si nous en acceptons les termes, deviendraient un obstacle. Parmi les questions que le Bouddha a délibérément mises de côté, il y a : l’univers est-il fini ou infini ? Est-il éternel ou pas ? Est-ce que tout est Un ? Ou y a-t-il pluralité des choses ? Qu’est-ce qu’une personne ? Avons nous un soi ?

Le Bouddha conseilla de se focaliser uniquement sur les questions qui concernent le pouvoir des actions humaines, et sur comment elles peuvent être développées jusqu’au niveau de compétence nécessaire à l’éveil. Telles sont les leçons de son Dhamma : l’enseignement qui constitue la poignée de feuilles.

Beaucoup de ces leçons ont été façonnées par son approche finale de l’éveil, et par des aspects inhérents à celui-ci.