Les trois caractéristiques
Comme indiqué ci-dessus, chacune des quatre nobles vérités implique une tâche : la souffrance doit être comprise, ses causes abandonnées, sa cessation réalisée et la voie vers sa cessation développée.
Le Bouddha a fourni de nombreux outils permettant d’accomplir ces tâches. Parmi les plus importants il y a un groupe de perceptions qui sont généralement appelées les trois caractéristiques, mais que l’on peut plus précisément nommer les trois perceptions.
Ce sont les perceptions de l’inconstance (anicca), du stress (dukkha) et du pas-soi (anattā). La perception de l’inconstance attire l’attention sur le fait que les choses changent, et ne sont donc pas une source fiable pour un bonheur stable. La perception du stress montre que les sources non fiables de bonheur le rendent stressant. La perception du pas-soi permet de voir que tout ce qui est inconstant ou stressant ne vaut pas la peine d’être considéré comme « vous » ou « votre », et qu’il est préférable d’y renoncer.
Ces perceptions jouent un rôle dans l’accomplissement des tâches de chaque noble vérité. Par exemple, avec la première noble vérité, le Bouddha recommande d’appliquer ces trois perceptions à chaque agrégat : Percevoir, par exemple, que les sensations sont inconstantes, signifie se focaliser sur le fait que celles-ci ne cessent de changer. Comme toutes les sensations sont inconstantes et instables, vous réalisez qu’elles sont stressantes : aucune d’elles ne fournit une source fiable de bonheur et de bien-être. Et puisque ces sensations sont stressantes, cela signifie qu’elles ne sont pas entièrement sous votre contrôle et qu’il n’est donc pas justifié de les revendiquer comme vous appartenant. Elles sont donc pas-soi : en d’autres termes, ne méritent pas de s’y agripper.
Certaines personnes ont mal interprété l’enseignement sur le pas-soi, pensant qu’il signifiait qu’il n’y avait pas de soi. Cependant, le Bouddha a identifié les deux conceptions, « j’ai un soi » et « je n’ai pas de soi » comme des opinions erronées. En fait, « pas-soi » est un jugement de valeur, désignant simplement le fait que l’objet perçu comme pas-soi, ne mérite pas d’être revendiqué comme « moi », « mon soi » ou « ce que je suis », car cela induit automatiquement de la souffrance. Cette perception aide à réduire tout désir que vous pourriez avoir de vous attacher aux agrégats par un des quatre types d’agrippement, et plus particulièrement par celui sur les doctrines du soi.
Dans le cadre de la seconde noble vérité, ces perceptions peuvent être appliquées de la même manière aux trois types de désirs insatiables, et aux processus menant à leur apparition, afin d’attirer l’attention sur le fait qu’ils ne méritent pas que l’on s’y agrippe.
En ce qui concerne la troisième noble vérité, les perceptions de l’inconstance et du stress ne s’appliquent pas à la cessation de la souffrance, puisque cela touche le sans-mort, qui lui ne change pas et ne contient aucun stress. Cependant, en touchant le sans-mort, il est possible de ressentir de la passion pour cette perception, et de développer un sens subtil d’identité et de devenir autour de celle-ci. Cela représente un obstacle à la libération totale. Donc la perception du pas-soi est souvent requise à cette étape pour anéantir cette passion, afin que la cessation de la souffrance puisse être entièrement réalisée.
En ce qui concerne la quatrième noble vérité, les trois perceptions jouent deux rôles distincts dans la pratique de Sati et de la concentration. Au début de la pratique, elles peuvent être appliquées à tout objet ou pensée qui perturbe la concentration, montrant que ce genre de choses n’est pas digne d’intérêt. Au niveau final de pratique – après que l’agrippement à toute chose hors de la voie ait été déraciné – ces perceptions sont appliquées aux facteurs de la voie elle-même.
Par exemple, vous commencez à reconnaître que les jhānas sont eux aussi composés d’agrégats : la forme de la respiration, la sensation de plaisir et de ravissement, la perception de la respiration qui maintient l’esprit en place, les fabrications de la pensée dirigée et de l’évaluation et la conscience de toutes ces choses. Vous finissez par reconnaître que même le discernement fait son travail par l’intermédiaire de fabrications (pensées) et de perceptions. Quand l’esprit atteint le point où ces facteurs de la voie ont fait leur travail, il peut leur appliquer ces trois perceptions. Cela donne engendre la dépassion pour la voie elle-même, qui peut alors cesser. L’esprit renonce même à ces trois perceptions et se libère totalement.
De cette manière, les tâches des quatre nobles vérités sont complétées en accord avec les étapes de la dernière tétrade dans la méditation sur la respiration décrite précédemment : contemplation de l’impermanence (ainsi que du stress et du pas-soi), dépassion, cessation et renoncement.